Nous sommes tous dans les prisons turques // We are all prisoners in Turkey (Change.org, février 2017)

Esther Benbassa est signataire de la pétition « Nous sommes tous dans les prisons turques ». La pétition est disponible sur le site Change.org : https://www.change.org/p/nous-sommes-tous-dans-les-prisons-turques-we-are-all-prisoners-in-turkey

« L’Europe est actuellement barricadée derrière la «crise des réfugiés» et ne semble pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous, — auteurEs, journalistes, Kurdes, AléviEs, et bien sûr les femmes — payons le prix lourd de la «crise de démocratie». 
L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que «l’Europe est l’Europe»: la démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression. » 
Aslı Erdoğan, lettre de prison (1er nov. 2016)

Nous auteurEs, artistes,
Nous sommes Aslı Erdoğan, romancière passible de prison à vie pour avoir pris le parti des opprimés, dans des chroniques dénonçant la guerre menée contre les Kurdes dans le sud du pays. Écrivaine humaniste, pacifiste, «bouche des malheurs qui n’ont point de bouche», comme se définissait Aimé Césaire, elle incarne la littérature que nous voulons continuer à traduire, diffuser, lire pour garder ouvertes les frontières qui divisent chaque jour un peu plus les peuples;

Nous journalistes,
Nous sommes Ahmet Şık, l’un des plus éminents journalistes indépendants turcs, soupçonné d’appartenance simultanée à des organisations «terroristes» aussi différentes que PKK, PYD et le mouvement Gülen. Nous sommes Özgür Gündem, journal réputé pro-kurde persécuté par le régime, au point que l’ensemble de l’équipe éditoriale et les 35 personnalités ayant participé à une opération symbolique de soutien sont désormais inculpées pour terrorisme, incluant le délégué de Reporters sans frontières Erol Önderoğlu et Şebnem Korur Fincancı, médecin, professeure d’université et fondatrice de la Fondation des Droits de l’Homme en Turquie. Nous sommes Cumhuriyet, journal des sociaux-démocrates dont l’ex-directeur Can Dündar a dû s’exiler après avoir révélé les compromissions du gouvernement turc avec Daesh; dont une dizaine de journalistes sont actuellement en prison, y compris le critique littéraire Turhan Günay; qui a été condamné pour avoir publié les dessins de Charlie Hebdo en soutien après le 7 janvier 2015, alors que, faut-il le rappeler, le Premier Ministre turc était présent à Paris lors de la manifestation du 11 janvier; dont même le vendeur de thé a été mis en garde à vue pour avoir «insulté le Président»;

Nous universitaires,
Nous sommes les 1128 signataires de la pétition Academics for peace désormais harcelés, dont nombre ont perdu leur poste dans les purges massives effectuées dans les universités turques où des départements entiers ont été fermés, dont certains sont aujourd’hui en prison. Nous sommes Pınar Selek, sociologue féministe, auteure d’études sur les enfants des rues, sur les minorités sexuelles, kurde, arménienne, torturée en prison et désormais exilée en France dans l’attente du dénouement d’un interminable procès pour terrorisme dans lequel, en 19 ans de procédure, elle a été quatre fois acquittée et dont la Cour suprême vient une fois de plus d’annuler l’acquittement. Nous sommes Necmiye Alpay, linguiste et traductrice qui vient de passer plus de quatre mois en prison et est toujours dans l’attente d’un jugement pour terrorisme et déstabilisation de l’Etat, passible pour cela de prison à perpétuité;

Nous avocatEs, 
Nous sommes Eren Keskin, avocate, vice-présidente de l’Association turque pour les droits humains, défenseuse notamment des femmes victimes de violences sexuelles en prison, visée par plus d’une centaine de procès et risquant la prison à vie; Nous sommes İştar Gözaydın, avocate, auteure, universitaire suspendue en juillet dernier, emprisonnée depuis décembre;

Nous, éluEs politiques,
Nous sommes Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaş, co-présidents du parti d’opposition HDP, qui sonnait l’alerte en juillet dernier sur le fait qu’«on en est arrivé au point où, en Turquie, le simple fait de plaider pour la paix est considéré comme un délit»; désormais emprisonnés comme une dizaine de députés HDP depuis la levée de leur immunité parlementaire en octobre dernier, alors qu’à Ankara en ce moment est présenté au vote un projet de changement de Constitution qui doit encore durcir le régime;

Nous citoyenNEs,
Nous sommes conscients que nos libertés ne sauraient exister en Europe dans les frontières imposées par la peur, le rejet de l’autre et l’aveuglement volontaire, lâche et dangereux, face à l’effondrement de l’Etat de droit en Turquie, qui ne présage rien de bon pour nos propres démocraties;
Nous appelons les politiques qui, en ces temps électoraux, prétendent agir et parler en notre nom à être à la hauteur de la situation. Entendre celles et ceux qui manifestent avec courage leur attachement aux valeurs qui font que les regards se tournent encore aujourd’hui, avec l’espoir d’un soutien, vers l’Europe des droits humains; 
Nous ne pensons pas que notre asséchante tranquillité migratoire vaille tant de compromissions avec le régime de Recep Tayyip Erdoğan. Il est temps d’assumer enfin nos responsabilités. Il est temps d’oser prendre fortement le parti du droit, de la paix, de la liberté et du respect des peuples.

LISTE DES PREMIERS SIGNATAIRES A VENIR

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« Europe, currently concentrated on its « refugee crisis, » seems to underestimate the perils of total loss of democracy in Turkey. Now we – the writers, the journalists, the Kurdish, the Alevites and, of course, the women – are paying the heavy price for the « democracy crisis. »Europe should assume its responsibility for the values it has defined with the blood of centuries, the values that make « Europe » a democracy with human rights, including freedom of speech and thought. » Aslı Erdoğan

We – the writers, the artists,
We are Aslı Erdoğan – a novellist risking life in prison for defending the oppressed, for denouncing the war being lead against Kurdish populations in the south of the country. A pacifist and humanist writer, “the mouth of suffering that has no mouth” – as the poet Aimé Césaire used to define himself – she embodies the very literature we want to translate, read, and share, so that the borders that continue to divide people more and more every day will remain open;

We – the journalists,
We are Ahmet Şık, one of the leading independant Turkish journalists, accused of belonging to a gamut of “terror” organizations as different as the PKK, the PYD and the FETÖ. We are Özgür Gündem, so-called pro-Kurdish newspaper persecuted by the regime, to the point where the whole editorial team and the 35 people who participated in a symbolic operation to show their support of the newspaper are prosecuted on terrorism charges – the RSF representative Erol Önderoğlu and Prof. Şebnem Korur Fincancı, doctor and university lecturer, and founder of the Human Rights Foundation, are amongst those. We are Cumhuriyet, a newspaper close to the social-democratic party, whose former editor-in-chief Can Dündar had to flee into exile after revealing ties between the Turkish government and ISIS; newspaper of which a dozen journalists are now in jail, including the book critic Turhan Günay; newspaper that was condemned for publishing Charlie Hebdo cartoons as a show of support following the attacks on January 7th, 2015, a condemnation that came despite the Turkish Prime Minister attending the January 11th support rally held in Paris; newspaper of which even the tea seller was taken into custody for having “insulted the President”;

We – the academics,
We are the 1128 signatories of the « Academics for Peace » petition who now suffer ongoing harassment, many of whom lost their jobs during the mass purges carried out in Turkish universities which saw entire departments being shut down, and some of whom are now in prison. We are Pınar Selek, feminist sociologist and author of articles about street children and minorities, who was tortured in prison and now in exile in France, awaiting the outcome of a never-ending trial for terrorism – in the 19 years it has taken so far, she has been found innocent on four separate occasions, while the Turkish Supreme Court once again overturned the latest acquittal. We are Necmiye Alpay, linguist and translator who just recently spent over four months in prison and is still awaiting the courts final decision for accusation of terrorism and destabilization of the State, for which she risks life in prison;

We – the lawyers,
We are Eren Keskin, lawyer, vice-president of the Turkish Association for human rights, defender of female victims of sexual violence in jail, and now the target of more than 100 legal proceedings for which she risks life in prison; we are İştar Gözaydın, lawyer, writer, academic imprisonned since last December;

We – the elected officials,
We are Figen Yüksekdağ and Selahattin Demirtaş, co-chairs of the HDP opposition party who raised the alarm last July saying that “we have now reached a point in Turkey where the simple act of calling for peace is considered a crime”; now in prison, along with a dozen other HDP MPs, after their parliamentary immunity was lifted last October, meanwhile, in Ankara, a bill to amend the constitution, giving the regime even more power, is being put to vote;

We the citizens,
We are aware that our freedoms in Europe cannot exist as long borders are built up on fear and the rejection of others, and while we consciously, through cowardice, turn a blind eye to the disintegration of the rule of law in Turkey, none of which bodes well for our own democracies;
We call on all those who, during the upcoming elections, claim to act and speak on our behalf rise the occasion. Hear those who bravely stand up and fight for those values that made Europe the symbol it is, the land of human rights;
We do not think that reducing migrant numbers will make us safer, nor that our false sense of tranquility is worth the compromises made with the regime of Recep Tayyip Erdoğan. It is now time to take our share of responsibility. It is now time to dare to stand up for law, for peace, for freedom and for the respect of all people.