L’obscur financement des associations de lutte contre la radicalisation (« France Info », 12 juillet 2017)

Alors qu’un rapport sénatorial rendu public ce mercredi juge sévèrement la politique de déradicalisation menée en France, franceinfo se penche sur la nébuleuse d’associations subventionnées dans ce cadre.

Des deniers publics pour lutter contre la radicalisation envoyés… en Syrie. Ce paradoxe, soulevé par la récente mise en examen de parents membres d’une association, soupçonnés d’avoir détourné des subventions pour envoyer de l’argent à leurs enfants jihadistes, relance le débat sur la gestion de ces structures. Ce n’est pas la première fois qu’une d’entre elles est épinglée pour des raisons financières. En mars dernier, Sonia Imloul, responsable d’une cellule de « déradicalisation » en Seine-Saint-Denis, a été condamnée à quatre mois de prison avec sursis pour détournement de fonds publics. Elle a reconnu avoir agi pour régler des dettes personnelles. En mars 2016, C’est Dounia Bouzar, la figure « désembrigadement » du gouvernement, qui a renoncé aux subventions de l’Etat après avoir été vivement critiquée pour son manque de résultats au vu des sommes octroyées depuis 2014 – près de 900 000 euros.

« Il va falloir combien de pépins de ce genre pour que l’Etat se mette enfin à contrôler l’usage qui est fait de ses subventions », souffle la sénatrice UDI Nathalie Goulet. Amendement fin 2015proposition de loi fin 2016… L’élue ne cesse d’interpeller l’exécutif pour qu’un audit soit mené sur les fonds publics attribués à la lutte contre la radicalisation depuis deux ans. Dernière démarche en date : un mail adressé le 30 juin 2016 à l’actuel président de la commission des finances du Sénat, Albéric de Montgolfier (Les Républicains), dont franceinfo a pu consulter une copie. Nathalie Goulet sollicite un « contrôle sur pièces et sur place du budget du Comité interministériel contre la délinquance et la radicalisation (CIPDR) ».

Dans un rapport rendu mercredi 12 juillet, ses collègues sénatrices Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (Les Républicains) préconisent un « cahier des charges » national pour la sélection des organismes oeuvrant en matière de prévention de la radicalisation, afin de « systématiser l’évaluation du contenu des programmes financés et réduire progressivement leur nombre de sorte à opter pour la qualité plutôt que la quantité ».

Un budget exponentiel depuis trois ans

Le budget consacré à la lutte contre la radicalisation a explosé depuis la vague d’attentats en France. Objectif : matérialiser la réactivité des autorités, au risque d’aller trop vite dans le déblocage des sommes allouées. Au lendemain de l’attaque terroriste contre la rédaction de Charlie Hebdo, en janvier 2015, le fonds interministériel de la prévention de la délinquance a perçu 60 millions en trois ans pour prévenir la radicalisation, devenant ainsi le FIPD »R ». Son enveloppe est ainsi passée de 55 millions d’euros en 2013 et 2014 à plus de 70 millions d’euros en 2015 et 2016.

En 2017, le montant a encore augmenté : 123 millions d’euros. Le FIPDR a reçu des crédits supplémentaires pour la sécurisation des établissements scolaires ainsi que la mise en place des très contestés centres de déradicalisation, rebaptisés « de réinsertion et de citoyenneté », dont la première et unique structure de Pontourny (Indre-et-Loire) est aujourd’hui vide et en sursis. Esther Benbassa et Catherine Troendlé demandent sa fermeture dans leur rapport.

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Un financement encore opaque

Quid, par exemple, de l’association « Malgré eux », la précédente structure de Valérie de Boisrolin, créée en 2014 ? Selon nos informations, elle a perçu 15 000 euros via le FIPDR en 2015. Cette somme n’apparaît pas. Quid de l’association de Dounia Bouzar, le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, dont les statuts ont été déposés en préfecture le 15 avril 2014 ? Pas de trace des 900 000 euros si décriés.

Et pour cause. Ce jaune budgétaire, qui s’inscrit dans « une démarche de transparence de l’utilisation des fonds publics », est loin d’être exhaustif. Non seulement, il ne prend pas en compte les versements effectués dans le cadre d’un appel d’offres, mais il ne liste, jusqu’à présent, que les subventions attribuées par l’Etat, ministère par ministère. Pour chiffrer l’effort financier des établissements publics et des collectivités territoriales, il faudra attendre l’entrée en vigueur de la loi pour une République numérique, adoptée en octobre 2016. Or, les subventions accordées par le FIPDR au titre de la lutte contre la radicalisation étaient gérées juqu’au 30 décembre 2015 par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), un établissement public, rebaptisé Commissariat général à l’égalité des territoires.

Selon le rapport 2015 de l’association de Dounia Bouzar, publié début 2016, c’est l’Acsé qui lui a accordé la quasi totalité de ses fonds, avec l’aval du CIPDR. Dont 595 300 euros dans le cadre d’un appel d’offres. Des chiffres confirmés par l’agence auprès de franceinfo.

Pour centraliser et rendre plus visible « l’effort financier de l’Etat en matière de lutte contre le terrorisme », les députés Patrick Mennucci (PS) et Eric Ciotti (Les Républicains) préconisaient, dans un rapport rendu public en juin 2015, la création d’un jaune budgétaire dédié, dans lequel « les crédits seraient présentés chaque année par ministère, par mission et par programme ». Sans aller jusque-là, le jaune budgétaire 2016, disponible à l’automne, devrait être plus complet, le ministère de l’Intérieur et le CIPDR ayant récupéré la gestion des fonds du FIPDR.

Dans leur rapport d’étape rendu public en février 2017, les sénatrices Esther Benbassa et Catherine Troendlé pointaient un « ‘gouffre à subventions’ ou un ‘business de la déradicalisation’ ayant attiré certaines associations venues du secteur social en perte de ressources financières du fait de la réduction des subventions publiques ».

Moins d’associations, plus d' »acteurs sociaux »

Résultat, « certaines personnes ont pu être dirigées vers des personnes ou des associations non compétentes, qui ont voulu profiter d’une manne financière »« Il faut rationaliser les subventions accordées aux associations en matière de lutte contre la radicalisation, avec un cahier des charges et des évaluations tous les ans », complète Esther Benbassa auprès de franceinfo. Et la sénatrice de comparer avec l’échec de la politique de la ville dans les années 1970 : « On a accordé des subventions à tour de bras et on a vu le résultat, rien. » 

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