Le Sénat adopte le très controversé projet de loi antiterroriste (« AFP », 18 juillet 2017)

Le Sénat a adopté dans la nuit de mardi à mercredi le nouveau projet de loi antiterroriste voulu par le gouvernement pour remplacer, au 1er novembre, le régime exceptionnel de l’état d’urgence en pérennisant et en inscrivant dans le droit commun certaines de ses mesures.

L’ensemble de la droite sénatoriale LR et centriste, majoritaire, mais aussi les sénateurs En Marche et ceux du RDSE, à majorité PRG, soit 229 élus, ont voté en première lecture pour ce texte qui sera débattu en octobre à l’Assemblée nationale. En revanche 106 ont voté contre: les socialistes, les communistes et trois anciens membres du groupe écologiste désormais disparu, Aline Archimbaud, Jean Desessard et Esther Benbassa.

Le Sénat a validé les modifications apportées au projet de loi par sa commission des Lois en mettant en avant la défense des libertés publiques.

Les sénateurs ont limité dans le temps, au 31 décembre 2021, l’application des dispositions permettant de prendre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et de procéder à des visites domiciliaires et des saisies, comme l’avait proposé leur commission. Le projet de loi initial ne fixait pas de date limite.

De plus, ils ont prévu une évaluation annuelle de l’utilité de ces dispositions.

Ils ont également circonscrit l’usage des périmètres de protection aux abords de sites soumis au risque d’attaques terroristes. Ils ont aussi renforcé les garanties relatives à la vie privée, professionnelle et familiale des personnes contrôlées au sein de ces périmètres.

Le projet de loi pérennise par ailleurs le système de suivi des données des dossiers de passagers aériens (PNR) et autorise la création d’un nouveau traitement automatisé de données à caractère personnel pour les voyageurs de transports maritimes.

Il instaure un nouveau cadre légal de surveillance des communications hertziennes et élargit les possibilités de contrôle dans les zones frontalières.

En séance publique, le Sénat a proposé des mécanismes d’évaluation et d’encadrement des associations de prévention et de lutte contre la radicalisation, et autorisé les agents des services de sécurité de la SNCF et de la RATP à transmettre en temps réel les images captées par leurs caméras individuelles lorsque leur sécurité est menacée.

– ‘Société du soupçon permanent’ –

Le texte avait été dénoncé par plusieurs organisations, dont Amnesty International France, la Ligue des droits de l’Homme ou le syndicat de la magistrature (SM), mais aussi des personnalités comme le défenseur des droits Jacques Toubon, la juriste Mireille Delmas-Marty et le commissaire européen aux droits de l’Homme Nils Muiznieks.

Une centaine de manifestants ont d’ailleurs défilé mardi devant le Sénat, à l’appel de plusieurs associations et syndicats, dont Droits devant, le DAL, le MRAP, ou l’Union syndicale solidaire, aux cris de « État d’urgence, État policier! Nous ne lâcherons rien de nos libertés ».

Le numéro un du PCF, le sénateur Pierre Laurent, avait annoncé qu’il allait « combattre le texte dans son ensemble ». Mais une question préalable de son groupe, dont l’adoption aurait entraîné le rejet de l’ensemble du texte en discussion, a été rejetée d’emblée.

Pour le ministre de l’intérieur Gérard Collomb, la menace terroriste « est là, toujours prégnante ».

« Nous voulons sortir de l’état d’urgence, mais nous ne pouvons le faire sans adapter notre dispositif de lutte contre le terrorisme », a-t-il dit. « Il nous reste encore à prendre des mesures qui nous semblent essentielles », a-t-il ajouté.

« La France ne peut se démunir contre le terrorisme », a approuvé François-Noël Buffet (LR). « Il fallait donc ce texte ».

« Vous arrivez à nous proposer une situation où on maintient l’état d’exception sans être dans l’état d’exception. Tout cela n’est pas crédible », a critiqué Jacques Bigot (PS).

« Avec ce projet de loi, la société qu’on nous propose de construire n’est même pas une start-up, mais une société du soupçon permanent, laissée entre les mains des pouvoirs administratifs, où le préfet et le ministre de l’Intérieur peuvent remplacer désormais les juges », a reproché Esther Benbassa.