La révision constitutionnelle au Sénat, encore un flop pour l’exécutif ? (Le Huffington Post, 16 mars 2016)

Vu du Sénat #78

Le 13 novembre dernier, la France a été frappée par les attentats les plus meurtriers perpétrés depuis la Seconde Guerre Mondiale. 130 personnes y ont perdu la vie. La survie de notre démocratie est en jeu.

Mise en scène à Versailles

Au Congrès réuni à Versailles trois jours plus tard, le 16 novembre, le président de la République prononce devant les parlementaires un discours grave, fort et étonnamment martial: « Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme djihadiste qui menace le monde entier et pas seulement la France. » De quelle « guerre » parlait donc le Président? Les voyous criminels qui s’en prenaient à nous étaient donc des « soldats »? Mais les soldats de quel « État »? Devions-nous donc reconnaître à Daesh la dignité d’un État?

Dans le même discours, François Hollande préconisait une réforme de notre Constitution afin de « permettre aux pouvoirs publics d’agir, conformément à l’état de droit, contre le terrorisme de guerre ». De cette mise en scène est né le « projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation » qui sera débattu au Sénat -après l’Assemblée nationale- à partir de ce mercredi 16 mars.

Divertissement

Au lieu de chercher à comprendre, non pour excuser, mais simplement pour se donner les moyens d’agir efficacement et de pallier nos propres faiblesses, l’exécutif continue donc sans vergogne d’empiler les lois liberticides, comme il l’a fait après les attaques de janvier 2015, sans pour autant empêcher la tragédie du 13 novembre. Simplement parce que ces lois ne sont qu’une parade politique, qui ne rassure que nos gouvernants et certains politiciens soucieux de ne pas rater leur réélection si, par malheur, un autre attentat se produisait -mais qui rassure beaucoup moins nos concitoyens, plus lucides que nous ne l’imaginons sur l’efficacité de cette agitation législative, et que l' »état de guerre » proclamé plonge dans l’anxiété, la paralysie et la peur. D’un même mouvement, l’exécutif tente de « divertir » ainsi le peuple, au sens pascalien, d’autres problèmes tout aussi urgents, comme le chômage.

L’idée que constitutionnaliser l’état d’urgence (l’article 1er du projet de loi) permettrait d’adapter ce régime à la menace terroriste actuelle paraît pour le moins contradictoire. L’état d’urgence est, et doit rester, une mesure temporaire prise pour répondre à un « péril imminent ». Or le terrorisme dont nous sommes la cible est une menace épisodique mais par nature permanente. Il peut être comparé à l’hydre de Lerne de la mythologie antique, ce monstre aux multiples têtes qui repoussaient à mesure qu’on les coupait. S’imaginer pouvoir dissuader d’agir, par l’accumulation de dispositions législatives, des personnes qui n’ont ni foi ni loi, relève de la gageure ou trahit une coupable paresse de l’esprit.

Cliver pour gouverner?

Si ce projet avait émané de la droite, la gauche l’aurait critiqué avec véhémence. Et avec raison. Non seulement l’article 1er du présent projet de révision constitutionnelle est insuffisant à garantir nos droits et à nous protéger de l’arbitraire, bien au contraire, mais il contribue, associé à l’article 2, à plomber un peu plus un climat social déjà délétère, loin de cette « unité nationale » qu’il est peut-être sage de souhaiter, très facile de proclamer, mais beaucoup plus délicat de réaliser.

Qui peut croire que l’article 2, qui constitutionnalise la menace d’une déchéance de nationalité va nous protéger de terroristes qui n’ont que faire de leur nationalité, et ne respectent même pas les codes moraux et sociaux les plus élémentaires de la communauté des humains à laquelle nous appartenons? Doit-on rappeler enfin le clivage que cette déchéance a créé aussi bien à droite qu’à gauche? L’enjeu, ici, ne relève pas d’opinions partisanes mais plutôt d’une atteinte aux valeurs cardinales de notre République.

Jouer avec les symboles ou jouer avec le feu?

Le Premier ministre n’est pas gêné par l’absence de portée pratique de cette disposition, pourvu que le symbole y soit. C’est un peu ce que pensaient hier les partisans de la peine de la mort: une fois qu’on était parvenu à leur démontrer son inutilité, il y avait encore le symbole! Et de quel symbole parlons-nous ici? D’un symbole négatif, source de division. Il semble que pour certains de nos gouvernants l’histoire singulière et la mémoire meurtrie de notre pays comptent pour rien.

Malgré l’acrobatie rhétorique à laquelle s’est adonnée l’exécutif cet article ne concerne que les binationaux, et pas les uninationaux, sauf à fabriquer des apatrides, ce que les traités signés par la France interdisent. Comment parler encore, ici, sans se moquer du monde, d' »unité nationale »? Au nom de cette unité, le Général de Gaulle, à la sortie de la guerre, dans une France blessée, préféra pour les collaborateurs actifs l’indignité nationale à la déchéance. Là, il y avait un symbole fort.

Pourquoi ne pas consacrer tous nos efforts à nous mobiliser autour de la prévention et de la réduction des menaces que le terrorisme fait peser sur notre corps social, en y mettant à la fois plus d’intelligence et plus de pragmatisme? Pourquoi modifier notre Constitution, dans laquelle doivent se reconnaître des millions de Français, en y insérant un article scélérat inspiré de l’extrême droite, qui ne s’appliquera au mieux qu’à une poignée individus, ne méritant certainement pas d’être même mentionnés là, dans la charte fondatrice de notre République? Avons-nous pensé à l’usage que pourrait en faire cette même extrême droite, si un jour elle arrivait au pouvoir?

Mal parti!

Le sénateur rapporteur du projet de loi arrivé de l’Assemblée nationale au Sénat, le LR Philippe Bas, a apporté des modifications à l’article 1er qui l’améliorent. Pour que le texte soit soumis au Congrès, il devra d’abord être voté dans les mêmes termes à l’Assemblée et au Sénat. On n’est pas près d’y arriver. Attendons-nous à des navettes. Avant un probable naufrage.

L’article 2 sur la déchéance des uninationaux a été rejeté par la droite sénatoriale, qui refuse de prendre le risque de fabriquer ainsi des apatrides. Et le rapporteur a rétabli la déchéance de la nationalité pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation pour ceux qui disposent d’une nationalité autre que la nationalité française. En l’état, une partie de la gauche y compris socialiste risque de ne pas voter l’article. Tel qu’il est amendé sera-t-il même voté par la droite?

Rappelons que la version votée à l’Assemblée était une bouée de sauvetage fournie par l’exécutif pour éviter que le vote socialiste ne se noie dans le « non », si n’étaient voués à la déchéance que les binationaux, comme il était prévu dans la version initiale de l’article – ce qui créait des Français de deux catégories.

Les choses se compliquent sérieusement. La faute à qui? Et à qui, ce faisant, fait-on perdre un temps précieux? Au législateur, à la lutte contre le terrorisme et au pays tout entier.

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