PJL n° 221
prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence
(Procédure accélérée)
– Discussion générale –
Jeudi 15 décembre 2016
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
Nous sommes réunis aujourd’hui pour statuer sur une nouvelle prorogation de l’état d’urgence, jusqu’au 15 juillet prochain.
Les chiffres publiés vendredi par la commission de suivi mise en place à l’Assemblée indiquent pourtant l’essoufflement de son bilan. Nos collègues députés Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson dans leur rapport du 6 décembre 2016 sur le contrôle de l’application de l’état d’urgence font état de 4 292 perquisitions, 612 assignations à résidence dont aucune pour des faits liés au terrorisme, 1 657 contrôles d’identité et fouilles de véhicules. Ces mesures ont conduit à l’ouverture de 670 procédures judiciaires, dont 61 concernant des faits en lien avec le terrorisme, parmi lesquelles 20 portaient sur des faits pour association de malfaiteurs en matière terroriste. L’état d’urgence n’a pas permis le démantèlement de filières ni réussi à empêcher les actes terroristes commis alors qu’il était en vigueur.
La lutte implacable que nous devons mener contre le terrorisme ne nous impose pas inéluctablement de maintenir l’état d’urgence et de suspendre ainsi l’état de droit et le fonctionnement normal de nos institutions.
Nous sommes hélas entrés dans l’ère de la banalité sécuritaire, laquelle semble s’être durablement installée dans notre pays. La notion de sécurité est devenue si large et si imprécise qu’il est désormais difficile de lui opposer la question des droits. Qui pourrait être donc contre la sécurité? La promesse de sécurité est devenue la fin en soi de l’action politique. On nous a enchaînés à l’état d’urgence, nous le trouvons de plus en plus naturel et nous avons fini par sacrifier la sûreté à la sécurité.
S’il est bien fait état de 17 attentats déjoués et de 420 interpellations d’individus suspectés d’être en lien avec des organisations terroristes depuis le début de l’année 2016, rien ne permet de savoir avec certitude si ces résultats ont été obtenus grâce à l’état d’urgence. Mais nous sommes dans l’état d’urgence, nous y resterons, et les arguments ne manqueront pas pour le justifier.
Le gouvernement rappelle ainsi que la menace terroriste reste à un niveau très élevé, notamment en raison, je cite, «du contexte pré-électoral caractérisé par de nombreuses réunions publiques, contexte susceptible d’être exploité par les organisations terroristes ou par des individus inspirés par elles en raison des cibles que représentent ces rassemblements… »
Certes, nul ne peut dire aujourd’hui que la menace terroriste est écartée ou même affaiblie. Une extrême vigilance reste de rigueur. Or justement, notre commission de suivi affirmait, en juin dernier, que « la menace terroriste étant devenue permanente dans notre pays, et qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de la combattre avec les outils de droit commun, qui ont été considérablement renforcés avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et la loi du 3 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme ». Voilà qui est clair.
Permettez-moi, mes chèrEs collègues, pour conclure, de faire miens les mots de Françoise Dumont, Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), dans son appel aux parlementaires : la France est confrontée, comme d’autres pays, à des attaques terroristes répétées et elle se doit d’assurer sa protection, celle de ses enfants, celle de son Etat de droit et celle de sa démocratie.
C’est notre conviction profonde que les trois sont inséparables. La sécurité stricto sensu ne saurait emporter les deux autres. D’autant moins quand on a peu à offrir par ailleurs, sur le partage des richesses, ou sur le progrès des libertés. Et c’est précisément notre détermination à défendre la démocratie, les droits et les libertés qui nous font penser que la lutte contre le terrorisme passe avant tout par le développement de moyens humains et matériels adaptés pour les services publics de la police et de la justice, par une coopération de ces moyens à l’échelle européenne et par une dynamique de règlement des conflits à l’échelle internationale.
Allons-nous de nouveau voter majoritairement pour cette prorogation par discipline de parti? Ou parce que l’état d’urgence s’est banalisé dans nos esprits au point que nous la voterons sans vraiment y penser, sans songer à toutes ses conséquences possibles pour l’avenir? L’état d’urgence n’a rien d’anodin.
Au groupe écologiste quatre de mes collègues et moi-même voterons contre ce projet de loi, trois s’abstiendront et deux voteront pour.
Je vous remercie.