Intervention en séance lors de la deuxième lecture de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale (07 février 2017)

Texte n° 348

Proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale

 

Discussion générale

Mardi 7 février 2017

Esther Benbassa

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Garde des Sceaux

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le Rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Nous examinons aujourd’hui, en seconde lecture, la proposition de loi de nos collègues députés Alain Tourret et Georges Fenech visant à réformer la prescription en matière pénale.

Plus précisément, nous sommes amenés à nous prononcer sur le seul article de cette PPL restant en discussion et qui concerne la prescription des infractions commises sur internet.

Cette disposition, qui vise à faire passer le délai de prescription de ces infractions de trois mois à un an, constitue le point de désaccord majeur entre les deux chambres.

Supprimée, à l’Assemblée Nationale, par un amendement porté notamment par nos collègues députés écologistes, elle a été réintroduite dans le texte par un amendement du rapporteur, M. Buffet qui avait échoué à la faire entrer dans le projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté.

Concrètement, le texte qui nous est soumis prévoit que les propos illégaux publiés sur Internet se prescriront par une année révolue sauf si ces propos ont également été diffusés sur support papier auquel cas le délai resterait de trois mois.

Il me semble utile de rappeler ici les constatations qui ont amené les députés Alain Tourret et Georges Fenech à élaborer ce texte, je cite : « les interventions erratiques du législateur et l’interprétation prétorienne extensive des textes ont progressivement brouillé la clarté des règles en matière de prescription pénale« , et conduit, notamment, à la multiplication des délais de prescription dérogatoires au droit commun, les deux députés par conséquent préconisaient de « moderniser et clarifier l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines afin d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique« 

Nous souscrivons entièrement, au groupe écologiste, à ces propos et avons, depuis longtemps, rappelé la nécessité d’une remise à plat et d’une clarification du droit de la prescription.

Force est alors de s’interroger mes chèrEs collègues sur le sens qu’aurait cet article que nous examinons aujourd’hui et qui revient à créer deux délais de prescription pour une même infraction sur la base du support utilisé : internet seul ou internet et papier ?

Le groupe écologiste que je représente aujourd’hui considère que cela entache la lisibilité et la cohérence de la loi et a, en conséquence, déposé un amendement de suppression.

Nous considérons en effet, à l’instar de nos collègues députés, que la tendance à considérer l’usage d’internet comme une circonstance aggravante pour de nombreux délits est davantage fondée sur la peur et l’incompréhension de ces usages, que sur des faits concrets. Ceux qui maîtrisent les outils numériques savent qu’il est aisé de créer un système d’alerte qui vous informe à chaque fois que votre nom est cité sur internet. Il est donc bien plus facile de repérer un propos diffamatoire ou injurieux dans ce contexte que lorsqu’il est écrit dans un journal ou un ouvrage « papier », dont vous ne pourriez avoir connaissance que des années plus tard.

La question qui se pose finalement est la suivante : faut-il réformer la loi du 29 juillet 1881 à l’heure du numérique ?

Le rapporteur du texte à l’Assemblée Nationale, notre collègue Alain Tourret, semble le penser lorsqu’il met en avant « la nécessité de redéfinir l’équilibre entre la liberté d’expression et la répression des abus de cette liberté à l’âge du numérique ».

Pour ma part, il me semble que, si cette refonte s’avère nécessaire, elle méritera concernant un sujet aussi important pour notre démocratie que la liberté d’expression, une vision d’ensemble et une réflexion davantage approfondie.

Nous ne pouvons, sur un sujet aussi fondamental, continuer de légiférer par petits bouts, au gré des véhicules législatifs qui se présentent.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste, convaincu de la nécessité d’un droit plus lisible et plus cohérent, déterminera son vote final en fonction du sort réservé à son amendement.

Je vous remercie.


Réforme_prescription_pénale_esther_Benbassa_7_2… par EcoloSenat