Intervention en séance lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurité publique (16 février 2017)

PJL n° 400:

relatif à la sécurité publique

Discussion générale

Jeudi 16 février 2017

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le Rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

Nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi, issu des travaux de la commission mixte paritaire, relatif à la sécurité publique.

L’examen de ce texte, qui constitue la réponse législative du gouvernement à la mobilisation des policiers suite à l’attaque de Viry-Châtillon (Essonne), intervient dans un contexte particulier que nul ne peut ignorer.

Il y a quinze jours, Théo, 22 ans, a été gravement blessé lors d’une opération de contrôle à Aulnay-sous-bois. Il affirme avoir été victime d’insultes racistes, de coups et avoir subi un viol. Hospitalisé, opéré en urgence, il s’est vu prescrire 60 jours d’incapacité totale de travail.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, ces faits terribles ne doivent pas être utilisés pour jeter l’opprobre sur l’ensemble d’une profession, sur ces hommes et ses femmes dévoués à leur tâche et qui font parfois l’objet, on l’a vu, d’attaques d’une violence inouïe.

Toutefois, l’affaire Théo et les répercussions qu’elle a eues dans toute la société doivent nous interroger.

Avons-nous œuvré, en tant qu’hommes et femmes politiques, en tant que législateur, à protéger nos concitoyens des violences policières ? Avons-nous pris des mesures efficaces pour restaurer la confiance brisée entre la population et sa police ?

Le constat est plutôt négatif et notre responsabilité collective est, je crois, engagée.

Les attentats, le tout sécuritaire réclamé sur bien des bancs de l’Assemblée Nationale et du Sénat, ont abouti à une interdiction de parler de certaines défaillances chez nos forces de l’ordre, à un véritable tabou.

Qui aura tenté de rappeler la nécessité d’un récépissé au contrôle d’identité, ce que nous avons fait ici aux côtés de nos collègues communistes ;

Qui aura plaidé pour le retour d’une véritable police de proximité ;

Qui aura réclamé plus de transparence de l’usage des armes par les forces de sécurité ;

Ceux qui l’ont fait ont été accusés avec parfois outrance d’avoir osé exprimer de la défiance envers des forces de l’ordre dont l’unique objectif serait de nous protéger des terroristes.

Eric Ciotti, bien connu pour sa mesure en toute circonstance, a même encore il y a quelques jours réclamé que les manifestations contre les violences policières soient interdites.

Parce que, pour certains, les violences policières, ça n’existe pas.

Nous parlons aujourd’hui d’encadrer les circonstances dans lesquelles les policiers pourront utiliser leurs armes. Nous parlons de l’usage que police et gendarmerie font de la force publique dont ils sont dépositaires.

Dans un tel contexte, la première des choses est de s’atteler, me semble-t-il, à faire la lumière sur un certain nombre d’éléments. C’est un des combats que mène l’ONG ACAT-France depuis des années. Ainsi, pendant dix-huit mois, l’ACAT a réalisé un état des lieux des violences policières en France. Au terme de son enquête, elle a publié un rapport intitulé « L’ordre et la force » pour briser le silence autour de cette question.

Ce rapport, qui repose sur l’analyse de 89 cas d’utilisation excessive de la force par la police et la gendarmerie, met en évidence dans quelles conditions, avec quelles méthodes et quelles armes sont commises les violences policières. Au regard du bilan humain découlant de l’utilisation de certaines armes, Flashball et Taser notamment, et des gestes d’immobilisation, c’est probablement leur usage qui devrait être réformé et encadré plus strictement.

Ce rapport met également en évidence la relative impunité dont bénéficient les forces de l’ordre puisque sur les 89 situations examinées, seules 6 ont fait l’objet de condamnations au jour de sa conclusion.

Comme le résume très bien le texte, « difficulté de déposer plainte, d’obtenir une enquête effective, disparition d’éléments probants, déclarations manifestement mensongères des forces de l’ordre, durée excessive des procédures pénales, menace de condamnation pour outrage et rébellion… Obtenir justice est souvent un parcours du combattant. Lorsque les agents sont condamnés, les sanctions sont faibles au regard d’autres condamnations pénales prononcées en France. »

Les images de l’arrestation de Théo, les constatations médicales surtout et son témoignage ont empêché les habituelles contestations des faits et remises en question de la personnalité de la victime.

Beaucoup doit être fait pour endiguer les phénomènes violents de part et d’autre et pour restaurer la confiance entre police et population. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui ne nous semble ni facteur d’apaisement, ni à même de garantir la protection des forces de sécurité comme des citoyens. En conséquence, la majorité du groupe écologiste s’y opposera.

Je vous remercie.