- 15 JUIL. 2017
- PAR JULIEN LACASSAGNE
- BLOG : LE BLOG DE JULIEN LACASSAGNE
Comment j’ai rencontré les Bouvard et Pécuchet de la déradicalisation.
Mardi 29 novembre 2016, je fus invité en tant que professeur à participer à une journée de formation intitulée « Processus de radicalisation : ressorts psychiques et idéologiques ». J’allais assister à une présentation à destination d’enseignants, de formateurs, d’animateurs, mais aussi de travailleurs sociaux et de représentants des forces de l’ordre. Celle-ci était placée sous la tutelle de la préfecture des Alpes-Maritimes. La réunion était dirigée par deux principaux intervenants qui distribuèrent en début de séance un dossier comprenant le programme de la journée ainsi que divers documents, cartes, graphiques et organigrammes illustrant le « processus de radicalisation ». A ma demande, l’ensemble des participants se sont présentés et nous avons pu faire la connaissance de Benjamin Erbibou, communicant formé à Sciences-Po et de Patrick Amoyel, qui se présenta comme directeur de Recherches, auxquels étaient adjointes deux étudiantes en psychologie ainsi qu’une représentante de la Préfecture des Alpes-Maritimes. Messieurs Erbibou et Amoyel intervenaient au titre de membres de l’association Entr’Autres, dont on comprendra par la suite qu’elle s’est faite une spécialité dans le domaine de la « déradicalisation ».
Djihadisme et djihad
Les deux intervenants insistèrent non sans une certaine arrogance – qui, je dois le dire, m’agaça d’emblée – sur la scientificité de leurs travaux et sur la rationalité de leur expérience, pourtant le déroulement de la journée allaient vite démontrer le contraire. Patrick Amoyel a souhaité ouvrir la séance par des définitions, celle de djihadisme, puis celle de djihad. Définir le djihadisme avant le djihad relève déjà d’un parti pris, à mon sens désastreux. Le mot « djihadisme » est tiré d’une typologie très « sciences-Po » – et très discutable – qui devrait sa paternité à Gilles Kepel, c’est du moins ainsi qu’il fut présenté par M. Amoyel[1]. Le terme arabe djihad, polysémique, se rattache quant à lui à une tradition musulmane ancienne désignant un très large prisme d’actions allant des efforts quotidiens pour se conduire avec droiture à ceux dispensés afin de choyer et nourrir les siens, jusqu’à ceux fournis afin de défendre sa foi là où elle est menacée. A mes yeux, c’est précisément l’extrême amplitude de sens du mot djihad qui rend le terme djihadisme non seulement inepte mais surtout connoté du point de vue de la perception de l’islam et des musulmans. Mais de cela, il ne sera point question car si monsieur Amoyel sait se montrer critique, ce ne sera pas à l’encontre d’autorités agréées. Au-delà des interprétations parfois byzantines autour de définition des termes, la vraie question reste celle du cadre posé par la définition de djihadisme comme déterminant celle de djihad. Autrement dit, dans le discours construit par M. Amoyel, chacun entend que, quel que soit la forme du djihad, s’y trouvent les ferments du djihadisme[2]. Pour le dire autrement, dans sa démonstration, Patrick Amoyel a construit un djihadisme consubstantiel au djihad. Des efforts considérables furent déployés par les deux intervenants, souvent au prix de distorsion prodigieuse avec le réel, afin de faire entrer le plus de musulmans possibles dans la catégorie des « djihadistes ». Se sentant légitimement blessés, des participants ont protesté face à ces assertions, en particulier lorsque M. Amoyel insistait pour dire que les musulmans étaient tenus de reconnaître l’appartenance à l’islam des auteurs des attentats en France. A l’inverse, j’ai pour ma part tendance à voir comme une attitude éminemment saine que la plupart des musulmans voient dans ces meurtriers des traitres à l’islam[3]. Il est surtout important selon moi de préciser que nulle sommation n’a à être imposée aux musulmans de s’exprimer sur des actes criminels auxquels ils sont étrangers.
[…]
Pour (re)lire l’intégralité de l’article du Blog de Mediapart, cliquer ici.