Muriel Domenach, secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), estime à l’instar des auteurs d’un rapport sénatorial sur la « déradicalisation » qu’il « n’y a pas de recette miracle » pour lutter contre le phénomène, dans un entretien avec l’AFP.
QUESTION: Un rapport sénatorial juge sévèrement la mise en œuvre de la politique de déradicalisation depuis 2014, comment réagissez-vous à ces critiques?
REPONSE: Le rapport souligne qu’il n’y a pas de recette miracle et c’est sain. Ni nous, ni quiconque en Europe, n’avons trouvé de baguette magique. Au Royaume-Uni par exemple, le programme Prevent mis en place depuis 2005 et qui faisait figure de précurseur, est extrêmement critiqué pour ses limites. Il est en voie d’ajustement. Au cours de cette dernière année, la multiplication des actions terroristes par des jeunes radicalisés à Berlin, Stockholm, Londres, Manchester témoignent du caractère général de la problématique et questionne les dispositifs de prévention. L’essentiel est de pouvoir tirer les leçons des expérimentations. Les sénatrices recommandent des pistes de travail pertinentes: généraliser l’évaluation et se concentrer sur la prévention avec des acteurs de terrain plutôt que rechercher une hypothétique déradicalisation avec des gourous autoproclamés. Aujourd’hui, nous avons d’ores et déjà 2.600 jeunes et 800 familles accompagnés à notre travers maillage territorial.
Q: Le rapport s’alarme des conditions dans lesquels l’argent public a pu être octroyé à des associations à l’efficacité douteuse…
R: L’essentiel encore une fois est d’en tirer les leçons. En 2014 et 2015, nous étions dans un état de sidération: les autorités, la société civile, y compris ceux qui avaient des contacts avec le terrain. Les travailleurs sociaux ont mis du temps à s’approprier la problématique de la radicalisation. Le temps qu’ils se mobilisent, l’État a travaillé avec ceux qui étaient prêts à le faire. Il y a eu des dérives, des personnalités surexposées sur un sujet inflammable avec une opinion traumatisée par la multiplication des attentats. Un certain nombre d’acteurs ont perdu le sens des réalités. Une équipe d’évaluation a été montée au sein du CIPDR et le contrôle financier renforcé. Plusieurs financements ont été remis en cause. Les contrôles sont désormais accrus et nous travaillons sur plusieurs pistes pour améliorer l’évaluation et le suivi.
Q: Êtes-vous d’accord avec la fermeture du centre de Pontourny préconisée par le rapport?
R: Nous soumettrons prochainement une évaluation aux pouvoirs publics. Celle-ci montre l’intérêt d’une troisième voie entre le milieu ouvert et le milieu carcéral, l’intérêt d’une prise en charge pluridisciplinaire. Elle montre aussi les limites du volontariat par comparaison avec des personnes sous main de justice. L’autorité politique décidera si et comment réorienter l’expérimentation et avec quels publics. Pontourny a attiré une attention excessive, mais numériquement, les dispositifs en milieu ouvert et en milieu carcéral demeureront les plus importants dans la prise en charge.
Q: Que pensez-vous de la notion de « déradicalisation » que les rapporteures critiquent?
R: La notion de déradicalisation répond sans doute à un fantasme au lendemain des attentats, sans doute a-t-on été dans la frustration de ce fantasme, ce qui explique la violence des critiques et des controverses… Mais la déradicalisation au sens de la déprogrammation, n’existe pas. Il faut être modeste sur nos objectifs de prévention en mobilisant les professionnels de terrain dans la discrétion. Il faut aussi partager nos expérimentations avec nos partenaires européens et permettre à la société civile de prolonger le contre-discours dans tous les registres, jusque dans l’art ou l’humour.