Dans la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, «la violence, c’est tous les jours»
Violence à l’égard des détenus, mauvais traitement, harcèlement: la maison d’arrêt de Villefranche a mauvaise réputation. BuzzFeed News a pu accompagner la sénatrice Esther Benbassa lors d’une visite surprise.
Après quelques tractations et un coup de fil à l’étage de la direction, le patron de la prison accueille la sénatrice, visiblement dérangé par cette visite impromptue. David Schots a pris la direction de la maison d’arrêt le 1er septembre 2016, où il gère 670 détenus (pour 638 places). Pendant un entretien d’une heure dans son bureau, il s’attache à présenter sa prison, qui a pourtant mauvaise réputation, sous un jour positif. Dans les années 1990, elle était le terrain d’expérimentation du Front national, qui y avait implanté un syndicat de gardiens, le FN-Pénitentiaire, dont les membres arboraient l’emblème, une petite flamme, pendant leur service. Depuis 2012 et un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) la maison d’arrêt de Villefranche est régulièrement pointée du doigt pour des problèmes multiples : application trop stricte du règlement intérieur de la prison, soupçons de violences à l’égard des détenus. À tels points que pour certains prisonniers, se retrouver à Villefranche revient à subir une double peine.
Une réputation que David Schots balaie d’un revers de la main. «On dit ça de toutes les prisons. Nous avons toujours été dans le respect de la règle. Il y a toujours quelques agents plus rudes que les autres, mais diaboliser un établissement, c’est facile», assure le maître des lieux. Et pour nous en convaincre, il mène pendant deux grosses heures la visite. Le quartier éducatif d’abord, quatre classes quasi-neuves où des cours pour tous niveaux sont ouverts aux détenus, de la lecture à la licence de psychologie. On y trouve aussi la bibliothèque. Pendant la visite, Esther Benbassa fait remarquer que les collections sont un peu vieillottes. Il est vrai que les rayons sont nombreux, mais les livres sont anciens, et pour certains jaunis par le temps. Visiblement tendus, le directeur et son chef de détention nous guident dans les couloirs de la prison, au cours d’un parcours bien fléché, même si nous n’avions prévenu personne de notre arrivée.
Trois suicides en 2017
Dans l’aile médicalisée, alors que la sénatrice demande à une docteure combien de détenus sont traités pour des problèmes psychiatriques, le ton monte. «Nous en avons trop» répond la spécialiste, d’un ton peu conciliant. La discussion s’envenime, si bien qu’il nous sera impossible de connaître le nombre exact de patients traités pour ces problèmes, ni si leurs pathologies se sont développées pendant leur séjour, ou avant. «Certains les développent ici», finira par reconnaître la thérapeute. Visiblement, la courte moyenne des séjours — sept mois — ne freine pas les pathologies psychologiques et psychiatriques.
Il en va de même pour les suicides, dont le nombre s’élève, selon le directeur de la prison, à trois pour l’année 2017 (en 2016, à titre de comparaison, 121 détenus se sont suicidés en détention en France). Premier moment de flottement dans le discours de David Schots, jusque-là parfaitement rôdé. Lui-même semble un peu découragé par cette situation à laquelle les cellules «antisuicides» n’ont rien changé, malgré leurs meubles sans angles et leurs téléviseurs enfermés derrière une vitre en verre incassable.
Le reste de la prison est plutôt propre, sauf lorsque l’on y regarde de plus près. Au détour d’un couloir, on découvre une cellule où le paravent qui est censé séparer les lits de l’espace sanitaire a disparu, et n’a pas encore été remplacé. À l’extérieur, certaines coursives auxquelles les détenus n’ont pas accès sont jonchées de déchets, et un gros rat croise même notre chemin entre deux bâtiments.
Mais le plus gênant, ce sont les douches, hors d’âge. Des tâches de rouille recouvrent le sol, où traînent des bouteilles de gel douche et des flaques d’eau peu engageantes. À Villefranche, les détenus ont le droit de prendre trois douches par semaine, s’ils en font la demande (le minimum légal fixé par un décret du 8 décembre 1998). Dans les douches, les statistiques sur les suicides refont surface quand David Schots fait remarquer, non sans ironie, que les patères sont souples, pour empêcher toute tentative de pendaison. Alors que quelques centimètres plus loin, un radiateur en acier grimpe le long du mur. «Lui il n’est pas antisuicide» note le directeur dans un rire nerveux.
«Quand ils te mettent les menottes, ils te cassent les doigts»
Alors que la visite s’achève par un tour du quartier disciplinaire (QD), le vernis se craquelle. David Schots décide d’ouvrir une des cellules pour discuter avec l’un des détenus, enfermé ici pour avoir enfreint le règlement de la prison. Hicham* sursaute presque en voyant le badge que porte David Schots à sa veste : «C’est vous le directeur ? Je suis là depuis un an, je vous avais jamais vu !» L’homme a 31 ans, et purge une semaine en QD pour avoir insulté un agent. Il enchaîne : «Ah par contre, je vous ai vu dans les journaux, vous avez frappé un détenu !» David Schots blêmit. En effet, le directeur de Villefranche a fait l’objet d’une plainte en avril dernier pour coups et blessures sur un détenu menotté. Il aurait donné plusieurs coups de genoux, devant témoins, à un détenu qui refusait de regagner sa cellule. Rapidement, il coupe court : «C’est classé.» Contacté à ce sujet, le parquet de Villefranche n’a pas pour le moment pas donné suite à nos sollicitations.
Mais Hicham n’en a pas fini. Il développe. «Ici les gardiens sont violents, la violence c’est tous les jours à Villefranche.» Une situation déjà dénoncée par l’OIP, dans une enquête sur cette maison d’arrêt publiée en juillet 2017, et qui s’appuyait sur les témoignages de nombreux détenus. Certains décrivaient notamment comment les agents les menaçaient de leur «péter» les doigts alors qu’ils leurs passaient les menottes. Hicham reprend, sans que personne ne lui ait parlé de cette enquête, du moins lors de notre visite : «Quand ils te mettent les menottes, ils te cassent les doigts.» Le directeur nie, lui qui nous a assuré plus tôt que tous les détenus pouvaient dénoncer de tels faits directement au procureur, sans que leur courrier puisse être lu en amont par le personnel de la prison. Là encore, les détenus qui ont témoigné auprès de l’OIP apportent une version différente, et assurent que leurs courriers au procureur n’arrivent pas toujours.
La visite s’achève. Le chef de détention nous assure, à propos des trois agents placés sous contrôle judiciaire pour violences aggravées contre un détenu, qu’il n’y a aucune preuve dans le dossier. «Le détenu concerné a été emmené voir un médecin qui n’a relevé aucune trace, et les collègues assurent qu’ils ont pratiqué des gestes de premiers secours parce qu’il faisait un malaise.» Nous n’en saurons pas plus, là encore, nous attendons les réponses du parquet.
C’est finalement à l’extérieur des murs que nous aurons le plus de réponses. Alors que nous repartons, nous croisons à la gare de Villefranche une employée dont nous ne donnerons pas le vrai nom pour ne pas mettre son emploi en danger. Karine* confirme que l’ambiance n’est pas au beau fixe à Villefranche. Et elle aussi a remarqué le comportement des agents à l’égard des détenus. «Par exemple, ils leur refusent du papier toilette quand ils viennent en demander, ou alors ils n’ouvrent pas leur cellule quand ils ont rendez-vous avec les médecins». Interrogée sur les violences dont se plaignent certains détenus, Karine hausse les épaules. «Ça ne m’étonne pas», tranche la jeune femme.
«Il y a des rats, les douches sont dans un état lamentable»
Sur le chemin du retour, nous interrogeons la sénatrice Esther Benbassa pour savoir ce qu’elle a pensé de la maison d’arrêt de Villefranche. L’élue n’a pas vraiment apprécié la visite (trop) guidée du directeur. «Malgré notre visite surprise, on a eu l’impression que tout était préparé à la dernière minute. Mais ce qui m’a impressionné, c’est la gestion très froide, stricte et militaire de l’endroit. J’ai constaté une grande tension chez les personnes que nous avons rencontrées.»
Et la sénatrice n’a pas manqué de remarquer l’état des lieux. «Il y a des rats, les douches sont dans un état lamentable, les cellules mériteraient d’être rénovées.» Mais ce qui a le plus inquiété Esther Benbassa, c’est la rencontre avec Hicham, au QD. «Les violences qu’il nous a racontées sont exactement celles que nous avait rapportées l’OIP. C’est très perturbant. Le directeur était gêné. Et la jeune femme que nous avons rencontré plus tard [Karine] a confirmé les violences. Ce sont des traitements qui relèvent du harcèlement moral.» Conclusion de la parlementaire : «Il faut revoir tout ça. Il se passe probablement des choses assez problématiques ici. Je compte sur le CGLPL pour que les choses se redressent et que les détenus puissent vivre dignement». Contactés, les service de la CGLPL n’ont pas donné suite à nos sollicitations pour le moment.
*Les prénoms ont été modifiés.
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